L’Enquæte  

Ecoute attentivement ce que je dis car je choisis mes mots avec soins. On m’appelle la Fouine, pas William Shakespeare ou Walter Scott. Je ne fais pas dans la dentelle ni dans le sonnet, avec moi, les têtes tombent et les secrets s’éventent. Je t’ai dit mon nom, ça c’est le Qui.

Le Où pourrait se résumer en un clapier quelconque mais il y a une différence entre être en bonne compagnie et avoir une bonne Compagnie.

Ce qui nous emmène au Quoi. J’ai ouï dire de l’existence d’un plan audacieux, d’une formule parfaitement ciselée et exécutée avec art que toutes les autres compagnies envieraient. Ce qui vaut aussi pour le Quand.

Le Pourquoi ? Au-delà d’une évidente raison financière, c’est parce qu’il se peut.

Ce qui nous laisse le Comment. Là où la magie opère et c’est que j’m’apprête à te raconter.

Une journée comme une autre sur le plateau : le cliquetis des claviers caquète, la radio cancane sur une fréquence bon marché et une odeur de soupe chimique à la volaille agresse déjà les narines.

Il est 8h43, à peine arrivée et pas encore remise d’une guinze de la veille, Iseult dit l’Aviron s’installe à la barre déjà en position d’attaque. Rapide, directe, efficace, avec l’Aviron pas de canotage, faut fendre les flots.

8h46. C’est l’alerte, l’équipage est sur le qui-vive. Tous les matelots sont sur le pont, c’est la distribution des courriers qui continuera comme une bonne gueule de bois jusqu’à la fin de journée. Râleries pour la forme pour les uns, railleries forcées pour les autres, à chacun son canot de sauvetage. Attribuer – traiter – suivant.

8h51. Ça tombe comme un couperet : nouvel accident de circulation auto. En droit ? En tort ? Le débat n’est pas là ! D’abord l’analyse de la scène du crime : où ? Quand ? Qui ? Comment ? Mais pas autant que le Combien ?

Kevin dit Kèkè dit le Chat car il est toujours à l’affût d’une jolie proie gouleyante de contrats cousus de ses propres griffes. Un vrai carnassier. Ce matou a envoyé le constat d’accident d’une de ses plus belles souris : Maurice. Enseignant retraité débonnaire qui confond les heures de pointes du supermarché avec les classes bondées. Réflexe pavlovien. Résultat, au sortir d’un parking, Maurice s’est empaffé dans la tire de Belinda qui confond temps et argent. Et du temps, la pépée n’en a pas perdu. Elle a rempli le papelard avec diligence et perspicacité, sûre d’elle. Elle a surtout reniflé l’odeur du pigeon qui comblera, espère-t-elle, son dernier accroc passé juste sous la franchise. 

Tranquille et affutée, l’Aviron décoche sa première flèche et fait appel à l’expert : Pierre dit le Renard. Avec lui, pas besoin de CD, il connait la musique. Evaluation précise, confirmation des points de chocs. Sous peu, on saura combien on pourrait allonger ou … avoir.

Mais la déclaration est plus retorse qu’il n’y parait. Les cases cochées, les scribouillis illisibles et les dessins, qui ressemblent plus à une toile d’Alechinsky en vacances, donneraient la nausée à n’importe quel gestionnaire normalement constitué. Dans le brouhaha incessant des appels téléphoniques mêlés à l’odeur âcre du café, y a vraiment de quoi y perdre son latin. Pas démunie pour autant, l’Aviron effile le parchemin numérique avec minutie, démêle presque la pelote du noeud gordien. Mais un détail lui échappe.

9:17. Ni une ni deux, l’Aviron se décide à aller voir Lucien dit Lulu, le grand Manitou. Et si Lulu dose mal l’humour c’est parce qu’il écrase les pédales sur le turbin. Avec lui, conditions générales, conventions ou grilles corpus, plus rien n’a de secret : il les a bèquetées au petit dej’. Rompu à l’art de la filouterie autant que de la coquinerie, Lulu repère les traits, lie les cases, explique l’impassable. Enfin, la sentence claque sans équivoque : « Elle a cru m’avoir dans mon sommeil comme une fleur cette Belinda ! Pas de 50/50 ni de dos à dos, rien qu’un bon B50 en notre faveur. La blonde quittait son stationnement sans y toucher. »

9:44. Après un détour par la cafet’, l’Aviron envoie la sentence à la rue des Croisiers : « Touche pas au Grisby ! »

9:52. Elle répond à Kèkè qu’il peut continuer à ronronner. Pas besoin de pousser le bouchon, Maurice est déjà client complet.

9:58. L’Aviron craque ses doigts, sirote une gorgée de moka, jette un regard sur la basse-cour et repart sur son esquif aux sons des tam-tam modernes.

Une heure une minute, c’est loin du record du sinistre ouvert et traité le plus rapide, mais pour un lundi matin froid et pluvieux ça a tout de même le parfum d’un rhum arrangé de derrière les fagots.

NS+2H ! Et dire que les autres pensent que c’est un mythe.

La Fouine

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